Un nouveau Ping en réponse au Pong #8, cette fois proposé par notre cher et talentueux ami Benito Abdaloff.
Une
gare s’abreuve de gens. On peut changer de point de vue mais c’est
ce qu’elle fait, et ceux-ci répondent en déversant leur cœur,
leur ombre sur des rails ou dans un murmure, au conjoint-e, à
l’ami-e. Cela peut être hostile. Cela peut ne pas être compris.
Des milliers de soupirs qui attendent d’être interprétés. Si
l’on pose son oreille sur les murs des gares, on sentira les
vibrations de ces paroles déjà oubliées.
Un
cœur est évanescent. Pour chaque partie du corps c’est vrai, mais
la contraction en est si forte que sa disparition s’en fait
d’autant plus sentir. On peut penser au réseau sanguin, au cœur
qui bout et à ces litres versés en nous. Avoir en tête chaque
pulsation et le sang en circulation, et si l’on attend assez
longtemps, le dysfonctionnement du système ne pourra qu’arriver.
Et alors plus de murmure au creux de l’oreille aimée ou sur les
voies vers le nord. Cette attente dans les transports est la plus
propice à la prise de conscience du plus vital – un battement, des
veines visibles et si l’on ne pense qu’à cela on atteint le
vertige intérieur.
On
bascule vers soi-même dans le quotidien en mouvement. On n’est pas
obligé d’aimer mais on ne peut s’en empêcher, penser au flux et
faire un grand retournement, par toutes les directions. Une angoisse
sans sortir du rang. La pression artérielle vrille, le pouls
ressenti trop fort à en percer les mains. Douleur minérale dont on
ne voit pas la cause.
Chacun-e
vit ce moment s’il le souhaite. Ce n’est qu’une proposition.
Pour voir les lignes des trains et disparaître au monde, par une
opération mentale assez simple. C’est un exercice, un travail sur
soi que personne ne connaît : chaque jour, ainsi, se démettre
de haut en bas pendant deux heures vides et se nourrir du regard des
autres. On forme la même nourriture. Mais peut-être ne veut-on pas
être mangé de la même manière. Invisible aux édifices on essaie
alors d’en faire partie, on atteint le plus proche de ce qui peut
se dérégler.
Il
faut faire des fantômes. Pour chaque parole entendue sur un bord de
quai, pour chaque litre de sang disparu depuis la naissance. Associer
les deux vers la sublimation : son et fluide mêlés en une
présence, proche de chaque voyageur. Repeupler ce monde en
déséquilibre quotidien ; à côté de soi vivra ces discours
liquides dont on attendait l’existence pour ne plus être seul.
Chevauchant avec nous sur des kilomètres vus trop de fois, des
épopées par milliards habiteront désormais les sièges des trains
jusqu’au surpeuplement, la saturation d’émotions remplaçant la
banalité. Du premier pas hors de chez soi jusqu’au bureau. On
cherche la disparition de la parole, par un mouvement de bras vers
l’autre tout sera dit par ces esprits lancés à vitesse totale –
on verra le visage prochain désarticulé, effondré sur lui-même,
en attendant l’évanouissement du monde.
Le
mot disparait avant le corps, qui attend son heure. Sur les murs du
royaume interne, on espère des chants s’écrivant les uns sur les
autres, résonnant à pleins poumons, pour oublier le silence, le
vivat vers l’ailleurs. Ne vit-on pas dans cette patience ? On
évite tellement de portes à explorer. Et le cœur bat d’avantage
si on l’appelle, si on efface les discours sans importance entendus
chaque jour pour les transformer, les faire devenir une musique qui
accompagne notre rythme. Donner à ces voix plus d’ampleur, au
cœur, un élan au-delà de son potentiel. Faire brûler tout cela
dans un braséro cérébral pour amener chacun de nos membres à
disparaître – un bras en fantôme, une gorge de même.
Dans
un train voisin, cet homme au visage creux regarde dans les
obscurités de l’air conditionné. Cette femme prête attention aux
voix qui lui susurrent son nom peu à peu décomposé. Tous les jours
désormais disparaissent des personnes entre deux points d’une
carte à peine regardée. Leur présence cherche notre écoute, dans
les rivières du monde invisible reflété par celles de nos corps.
Une accumulation d’accidents – une gare s’abreuve de gens comme
nous devons nous abreuver de cadavres si légers. Et rejoindre notre
destination.
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