Le gras Vidamme et son petit
serviteur étaient partis en ballade. On les avait vu prendre le chemin des
morts, là où la route sinuait entre les tombes pour arriver au bosquet de la
Vestale où résidait, seule, une jeune fille mystérieuse qui restait caché au
plus sombre des futaies, vivant de baies et veillant l’esprit de ceux qui
reposaient non loin de sa demeure.
Ils se faufilèrent donc entre
les tombes. Le gras Vidamme soufflait, transpirait. Il avait mis de beaux
escarpins montés sur hauts talons et les plis de sa robe cérémonielle se laissaient
agripper par les ronces. Derrière lui, le petit serviteur pestait à chaque fois
que l’étoffe manquait de se déchirer, sachant qu’alors, la correction lui
serait donnée. A chaque épine malicieuse, il se jetait prestement dans le buisson,
s’écorchant la peau nue aux caprices des ramilles. Dans le ciel, la lune
s’était levé, posant sur la vallée une clarté inhabituelle, la lumière, très
blanche, dévalait les pentes calcaires, culbutait par-dessus les taillis et
finissait par se refléter à la surface de la rivière. De la ville ne restait
qu’un éclat de flambeau bien diffus et une rumeur lointaine de la fête qui se
donnait dans les dernières villas. De soupir des morts, point jusqu’alors.
Devant, la sylve aux troncs resserrés, comme entourée de murs épais de bois
gris, n’offrait que peu de prises au regard.
Le gras Vidamme n’en était pas
là, il était bien trop occupé à vérifier ses pas sur le pavage inégal. Encore
étourdi par les vapeurs d’alcool, il avançait sans rien voir. A peine connaissait-il
la direction dans laquelle il était parti. Cette soirée l’avait profondément
ennuyé surtout quand le Chevalier Hecton s’était montré grossier en insinuant
qu’il lui arrivait de dédaigner sa vieille épouse pour son jeune page. Alors
qu’il venait de se retirer, l’idée s’était imposée dans la masse adipeuse qui
tenait de cervelle au Vidamme, d’exercer à l’encontre du chevalier une de ces
petites vengeances mesquines qui avaient fait sa réputation, qu’il avait fort
mauvaise. Il était donc parti pisser contre la porte de la villa, mais, chemin
faisant, il avait oublié. L’air lui plaisait et faire demi-tour aurait alors constitué
une manœuvre bien trop difficile.
Ses pensées l’avaient emporté
et il pataugeait dans la boue depuis dix bonnes minutes. La forêt tout entière
l’avait englouti et, même s’il n’y voyait goutte, il avait continué droit sa
route dans un marigot fangeux qui avait ruiné ses escarpins et le bas de sa
robe. Il se retourna visiblement contrarié vers son petit serviteur, lequel
s’époumonait depuis déjà longtemps essayant de ramener le gras Vidamme à la
conscience. La tunique maculée de boue, les larmes aux yeux, garçon avait perdu
tout espoir en ce gros bonhomme qui lui tenait lieu de maître et qui, déjà en
temps normal, n’était pas facile à supporter.
La brume se leva enfin, le
Vidamme vit les branches emmêlées, noires et menaçantes, les mousses et les
lichens, les ronces et la boue, les murmures du vent dans les feuilles lui
parvinrent, et les éclats de l’eau qui venait se fracasser sur quelques
cailloux pointus. Soudain, il eut envie d’un bain
*
* *
M’en
vais t’en peler, des couches, moi ! Te dynamiter les entrailles, te faire
péter les viscères. Te fouir dans la chair, dégorger… arhhh tu va
voaaaaaaar !
de
djeuuuu ! J’vais !... J’vais !...
Il ne savait plus vraiment qui
parlait, si c’était lui ou un autre, ou pire, un autre à l’intérieur de lui…
mais ça gueulait comme ça, d’un bout à l’autre de la rue. Puis ça commença à
sentir une drôle d’odeur de merde.
*
* *
Passer
les rayons habillage, marcher léger, léger, pour ne pas qu’on se fasse
apercevoir, presque plié en deux. Cache-cache derrière les jeans, direction les
cabines pour pas que le bonhomme dégueu nous voie. Le type avec une tronche de
mélanome qui gueulait sous le pont, tout seul, les deux pieds plantés dans sa
propre merde ; et qui s’était mis d’un coup à courir vers nous. On avait
pas bien compris ce qu’il disait, il parlait la langue des gros mots, quand
tout, jusqu’au plus petit article devient vulgaire, la langue de l’alcool,
celle qu’on parle à cinq grammes, avec une prononciation
dis-tin-guuuueeeuuuuueee, la langue gonflée, morceau de chair presque mort,
collée au palais. Qui disperse les mots en postillons glavioteux, qui
désintègre la pensée et rend l’esprit comme une page blanche.
Etait-il entré derrière nous ? On s’approcha
pour le guetter, relever le rideau, légèrement, centimètre par centimètre.
pas se
faire prendre par surprise.
*
* *
Ils avaient erré entre les
troncs sans trop oser s’éloigner des buissons et puis ils l’avaient vue,
minuscule silhouette enfantine qui s’était enfuie devant les jurons du gras
Vidamme alors qu’il constatait les dégâts de sa toge. Ils l’avaient poursuivi,
faute de mieux, trébuchant sur les racines là où ses pieds entraînés
cabriolaient prestement. Un instant, ils crurent l’avoir perdue, mais l’éclat
de la lune sur l’eau lisse d’un petit étang la trahit. Acculée, elle n’osait
plus bouger.
Le gras Vidamme extirpa ses
bourrelets d’entre les taillis, composa sa meilleure figure et s’approcha de
l’enfant, toujours suivi de son petit serviteur. Sa révérence fut exquise et
son baisemain parfait, frôlant à peine la peau. Il lança à la nuit un
compliment, puis, se retournant vers son serviteur encore rompu de s’être trop
agité depuis le début de cette soirée, il entreprit de se dévêtir, exhibant une
série de rondeur pendouillantes au niveau du ventre. Trois, quatre, cinq bonnes
bouées apparurent alors qu’il délaçait ses escarpins à haut talon qu’il balança
nonchalamment à la figure duserviteur. Une main sur son sexe flasque, l’autre
dans ses cheveux qu’il maintenait relevés sur sa tête, il s’avança vers l’étang
et entra dans l’eau avec de petits cris jusqu’à être totalement immergé.
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