jeudi 10 septembre 2015

PING #8QUATER



Un nouveau Ping en réponse au Pong #8, cette fois proposé par notre cher et talentueux ami Benito Abdaloff.


Une gare s’abreuve de gens. On peut changer de point de vue mais c’est ce qu’elle fait, et ceux-ci répondent en déversant leur cœur, leur ombre sur des rails ou dans un murmure, au conjoint-e, à l’ami-e. Cela peut être hostile. Cela peut ne pas être compris. Des milliers de soupirs qui attendent d’être interprétés. Si l’on pose son oreille sur les murs des gares, on sentira les vibrations de ces paroles déjà oubliées.

Un cœur est évanescent. Pour chaque partie du corps c’est vrai, mais la contraction en est si forte que sa disparition s’en fait d’autant plus sentir. On peut penser au réseau sanguin, au cœur qui bout et à ces litres versés en nous. Avoir en tête chaque pulsation et le sang en circulation, et si l’on attend assez longtemps, le dysfonctionnement du système ne pourra qu’arriver. Et alors plus de murmure au creux de l’oreille aimée ou sur les voies vers le nord. Cette attente dans les transports est la plus propice à la prise de conscience du plus vital – un battement, des veines visibles et si l’on ne pense qu’à cela on atteint le vertige intérieur.

On bascule vers soi-même dans le quotidien en mouvement. On n’est pas obligé d’aimer mais on ne peut s’en empêcher, penser au flux et faire un grand retournement, par toutes les directions. Une angoisse sans sortir du rang. La pression artérielle vrille, le pouls ressenti trop fort à en percer les mains. Douleur minérale dont on ne voit pas la cause.

Chacun-e vit ce moment s’il le souhaite. Ce n’est qu’une proposition. Pour voir les lignes des trains et disparaître au monde, par une opération mentale assez simple. C’est un exercice, un travail sur soi que personne ne connaît : chaque jour, ainsi, se démettre de haut en bas pendant deux heures vides et se nourrir du regard des autres. On forme la même nourriture. Mais peut-être ne veut-on pas être mangé de la même manière. Invisible aux édifices on essaie alors d’en faire partie, on atteint le plus proche de ce qui peut se dérégler.

Il faut faire des fantômes. Pour chaque parole entendue sur un bord de quai, pour chaque litre de sang disparu depuis la naissance. Associer les deux vers la sublimation : son et fluide mêlés en une présence, proche de chaque voyageur. Repeupler ce monde en déséquilibre quotidien ; à côté de soi vivra ces discours liquides dont on attendait l’existence pour ne plus être seul. Chevauchant avec nous sur des kilomètres vus trop de fois, des épopées par milliards habiteront désormais les sièges des trains jusqu’au surpeuplement, la saturation d’émotions remplaçant la banalité. Du premier pas hors de chez soi jusqu’au bureau. On cherche la disparition de la parole, par un mouvement de bras vers l’autre tout sera dit par ces esprits lancés à vitesse totale – on verra le visage prochain désarticulé, effondré sur lui-même, en attendant l’évanouissement du monde.

Le mot disparait avant le corps, qui attend son heure. Sur les murs du royaume interne, on espère des chants s’écrivant les uns sur les autres, résonnant à pleins poumons, pour oublier le silence, le vivat vers l’ailleurs. Ne vit-on pas dans cette patience ? On évite tellement de portes à explorer. Et le cœur bat d’avantage si on l’appelle, si on efface les discours sans importance entendus chaque jour pour les transformer, les faire devenir une musique qui accompagne notre rythme. Donner à ces voix plus d’ampleur, au cœur, un élan au-delà de son potentiel. Faire brûler tout cela dans un braséro cérébral pour amener chacun de nos membres à disparaître – un bras en fantôme, une gorge de même.

Dans un train voisin, cet homme au visage creux regarde dans les obscurités de l’air conditionné. Cette femme prête attention aux voix qui lui susurrent son nom peu à peu décomposé. Tous les jours désormais disparaissent des personnes entre deux points d’une carte à peine regardée. Leur présence cherche notre écoute, dans les rivières du monde invisible reflété par celles de nos corps. Une accumulation d’accidents – une gare s’abreuve de gens comme nous devons nous abreuver de cadavres si légers. Et rejoindre notre destination.